Juste la fin du monde texte 3 : 1ère partie, scènes 10 et 11
Dans ce second monologue, Louis exprime sa solitude et son étrangeté au milieu des siens. Dans la scène qui suit, il tente de la faire comprendre à son frère Antoine qui réagit brutalement. Ce passage, d'une tonalité douce, amère met en lumière l'ironie tragique de l'existence. Lagarce nous fait entendre la voix d'un mort, la plus propre sans doute à exprimer la déréliction humaine. Mais le sentiment tragique est ici compensé par une perspective ludique.
I. Le revenant
1) La voix des morts
Il y a chez Louis la peur d'une dissolution du MOI. Du JE au ON. Perte de l'identité. Fin p.43 « on s'amuse, je m'amusais », comme si JE et ON étaient interchangeables. JE fondu dans un ensemble. P.44 « on est bien, je suis bien ». Mise à distance de soi-même comme sur une photographie. À la page 46, Louis prend des poses. À la page 47, il prépare la photo qui restera de lui « me sourire à moi-même comme pour une photo à venir ». Louis est déjà posthume. Les vers sont courts, très découpés, le personnage semble à bout de souffle. L'identité fragile de Louis se traduit par une langue maladroite, incertaine → p.49 « des milliers, centaines...kilomètres ». Il se reprend constamment, sa langue est vacillante. Épanortose → p.49 « pas heureux, content ». Répétitions → p.49 « j'imagine assez...carabine », « assez » est un modalisateur, quelque chose qui vient apporter une nuance à l'énoncé. Le langage donne l'impression de quelque chose de glissant. On a l'impression qu'il y a qu'une seule voix qui traverse le texte. P.48 « j'étais à la gare » → « tu étais à la gare ». Dans la scène 10, il y a le regard rétrospectif de l'autobiographie.
2) Temps et espace
Le repère 0 est le moment où parle Louis (après sa mort). Le temps de la pièce est 0-1. « Plus tard, l'année d'après » → passé situé avant le temps de la pièce est 0-2 (vie de Louis avant qu'il revienne voir sa famille). Début in medias res. Le lecteur a l'impression d'arriver au milieu d'un récit déjà commencé. Qu'est-ce que Louis a évoqué avant notre entrée dans la salle ? P.45 → « plus tard (→ temps situé entre la visite à sa famille et sa mort : 0-0,5) encore...enfuis ». Transgression de la norme théâtrale. Il raconte quelque chose de l'ordre de l'avenir. Parfois, il s'amuse à imbriquer 0-1 et 0 → p.43 « on s'amuse » (0), « je m'amusais » (0-1). P.44 → le présent « je suis bien », « parfois je deviens haineux » (0-0,5) → moment où il est déjà allé voir sa famille. Présent qui a une épaisseur très grande et qui désigne toute une partie de la vie de Louis, celle où il pense à sa mort prochaine. Dans la scène 10, d'où parle Louis ? Où sommes-nous ? On est dans la tombe de Louis alors que dans la scène 11 on est dans la maison. Aux pages 43-46, il évoque le moment où il fait le tour du monde. Espace imaginaire qui est de l'ordre de la parole => trois espaces. Faire parler un mort est la meilleure façon de poser la question existentielle.
II. La déréliction
1) Être au monde
Louis est atteint de mélancolie (difficulté d'être au monde). Il a peur de la solitude et l'idée que le monde lui survive lui est insupportable. Louis souffre d'angoisses métaphysiques. Les autres ont vécu sans lui et vivront sans lui. Il y a une inquiétude quant à savoir que les autres vont disposer de son cadavre comme un objet → bas de la page 44 « que vont-ils faire de moi... ». Le cadavre est l'objet dont dispose la famille.Même chose chez Kafka. L'inquiétude du fils prodigue qui a conquiert une liberté mais que sa famille reprend dans la mort. Inquiétude légitime. Il revendique sa « Mort » comme un geste libre. « La mort comme choix fait contre eux pour leur faire du mal. » (p.45) Le sacrifice fait de soi pour blesser les autres. Tentative d'approcher la liberté, trouver l'expression juste. Il y a une grande pudeur, la maladie n'est jamais évoquée mais suggérée, p.45 « le lendemain...et pâle ». Quant à la haine, elle est ici vue comme un refuge, elle permet de ne pas s'ouvrir et d'assouvir jusqu'au bout sa solitude. Lagarce évoque son désir de survivre à sa famille → « être l'unique survivant » (p.45). Louis fait une tentative pathétique pour se cacher. À la page 46, il se présente comme un personnage nihiliste « je ne crois en rien ». À partir de la page 46, Louis se présente comme un étranger, un personnage constamment de passage. Mais cette fuite est inutile, à la page 47, la mort vient lui tapoter l'épaule en disant « à quoi bon » => retour pathétique chez lui. En quelques pages, il retrace l'apprentissage de la mort.
2) L'échec du fils prodigue
Louis revient méfiant → ce qu'il raconte à Antoine scène 11 → il attendait au buffet de la gare puis il ment => il commence par une trahison. Le retour de Louis est placé sous le signe de la trahison et du mensonge. Quant à sa méfiance, il imagine le discours qu'il tiendra à son frère. Antoine n'a rien oublié, il est plein de rancoeur. Il a décidé de ne pas croire son frère. Si le pardon n'a pas lieu comme dans la Bible, c'est parce que les personnages sont figés dans le ressentiment. Ce que dit Louis se retourne contre lui => il dit qu'il s'est fait une recommandation : p.50 « je me suis fait la recommandation...venais », p.51 « Comment... ? Une « ... » merde ». Antoine n'oublie rien. Antoine écoute attentivement Louis et le retourne contre lui. À tour de rôle, chacun des personnages revient sur ce que l'autre a dit ou fait. La justement déversion de la simple rectification à la dénégation la plus complète est ce qui ordonne les rapports entre les êtres. Le seul dialogue possible se noue sur des paroles déjà prononcées, des gestes déjà accomplis, des scènes déjà jouées. Antoine suppose que Louis regrette d'être venu et il fait semblant de croire que Louis est venu sur un coup de tête et du coup, il empêche Louis de s'expliquer, de dire pourquoi il est venu. Il effleure le point essentiel : la raison de la venue de Louis à la page 62 mais le balaie « Ce n'est pas important pour moi. ». Façon d'assigner à l'autre une identité. Antoine ne cherche pas à connaître Louis. Il lui dit, à la page 50 « tu dois être devenu ce genre d'homme qui lisent les journaux ». On sent également la jalousie d'Antoine « des journaux que je ne lis jamais », l'un est jaloux de l'autre comme dans la Bible. Sentiment d'infériorité d'Antoine face à Louis. Louis est un intellectuel et Antoine un ouvrier. Antoine nie, ne veut pas connaître Louis, savoir qui il est. Il met sa propre image à la place de ce qu'est réellement son frère. Il remplace l'expérience de Louis par la sienne. « Je connais ces endroits mieux que toi. » « C'est à cela que tu penses. » Antoine parle au présent. Il est en train d'évoquer Louis le matin même à la gare. L'usage du présent permet la substitution d'une réalité. Impression qu'il y a toujours des vues subjectives de la réalité et pas la réalité en elle-même. Il n'y a pas de réalité, que des confrontations de subjectivité. Antoine réécrit l'histoire de Louis « depuis de nombreuses années... ». Non seulement il réécrit l'histoire récente mais aussi toute l'histoire de Louis depuis qu'il a quitté la maison. Il met le discours à la place de celui de Louis. Il se passe ici exactement ce que Rilke et Kafka voulaient dire, la famille assigne à l'autre une réalité d'avance. C'est pour cela que le fils prodigue est parti. P.50 « c'est cela, c'est exactement cela, ce que j'disais...noie... ». Il s'efforce de reconnaître en Louis ce qu'il y a lui-même placé. P.51 « tu as toujours été comme ça à...contraire ». Les deux frères sont des étrangers l'un à l'autre comme le dit Antoine, p.52 « tu ne disais rien parce que tu ne me connais pas...frère ». Idée de fatalité qui pèse sur la famille. Louis se sent étranger mais Antoine aussi et Suzanne → trois enfants prodigues. Ils ressentent au fond la même chose. Antoine aussi a une identité fixée d'avance par la famille. Scène 10, grand monologue de Louis, sa volonté de les noyer. En apparence il y a un malentendu profond mais l'intuition d'Antoine est juste. Refus d'accorder au fils prodigue une singularité. « Tout n'est pas exceptionnel dans ta petite vie. » Antoine détruit le mythe élaboré par la mère et la soeur. Du coup Antoine veut quitter la pièce « Où est-ce que tu vas ? » (didascalie interne). Antoine refuse ce dialogue, ce rôle d'auditeur, de témoin qui lui a été imposé par sa famille. En fait, Louis comptait sur la compréhension d'Antoine. C'est à Antoine que Louis a décidé depuis le début de faire sa révélation peut-être parce qu'il le croit le plus fort. Antoine doit être le passeur, il doit avoir ce rôle là. Antoine sait ou pressent ce que veut lui annoncer Louis et le refuse. À la page 54, Antoine dit à Louis que pendant toutes ces années il avait de la haine, du ressentiment mais il se taisait pour « donner l'exemple ». Il se taisait par hostilité. À la scène 9, Antoine s'est disputé avec Catherine à cause de Louis. L'appel de Catherine devrait intervenir à la fin de la scène 9 mais entre temps il y a la venue de Louis. L'appel de Catherine est une hypothèse que vue avec Louis = l'aurait troublé => annuler la scène avec Louis. Regards lointains, F.D. Sebbah : « S'arranger avec les vivants et les morts. » « Antoine est un héros tragique mais pas Louis parce que Louis préserve son rapport au tragique en le négociant sur le mode de l'arrangement. ». Le tragique est l'absence de tout compromis. Antoine est celui qui refuse l'arrangement et qui accuse Louis de tricher. La pièce nous émerge dans une logique de confection / rédemption, pardon / rémission. Dans cette pièce, l'humanité est coupable en particulier les hommes et en particulier les frères.
3) Des langues étrangères
Il n'y a pas de langue commune entre les personnages. Le frère Antoine refuse d'entrer en communication avec Louis. Au début de la scène 11, Louis essaie de dire sa difficulté à être dans cette famille, il offre une chance de réconciliation qu'Antoine rejette. Antoine répond par plusieurs questions avec aggressivité. Du coup, le langage de Louis s'enlise, ne peut aller plus loin. « Je ne sais pas, non...important. » Louis bat en retraite, retire ce qu'il a dit. Antoine est sur la défensive parce qu'il est lui aussi aux prises avec cette histoire familiale. Il est lui-même piégé. Un dialogue ne fonctionne que si il y a la volonté de part et d'autre qu'il ait lieu. P.49, Louis dit : « je ne dis rien si tu ne veux rien dire ». Beaucoup de phrases inachevées. « Tout de suite, aussitôt, je ne t'empêchais pas. » Les personnages se censurent. Fonction phatique du langage. Antoine « Oui. », Louis « la gare ». Peur de ne pas dire le mot juste, de blesser l'autre. P.49, épanorthose « pas heureux, content » Louis. En fait, Louis essaie de créer une complicité masculine face à la mère et la soeur. Il essaie de créer cette complicité des hommes face aux deux femmes. Louis s'interromp tout seul « j'attendais et je me suis dit » → ellipse, on ne sait pas ce qu'il s'est dit. Chacun est aux prises avec son propre monologue. P.49 « j'y pensais...les répéter... ». On a l'impression que les personnages disent ce qui leur passe par la tête. On se retrouve presque dans un monologue comme dans la scène 10. Louis ne parle plus à un interlocuteur, il est plongé dans ses pensées. P.50 « (des recommandations que l'on se fait) », il livre l'intime. Quelque chose qu'il se dit à lui-même, pas à Antoine. On ne peut pas faire fonctionner un dialogue que sur l'intime. Refus de faire encourir l'échange. L'artificialité et le silence sont préférables à une parole qui joue avec la vérité et fait encourir le risque du conflit. C'est pourquoi les moments de parole vraie (ceux où s'expriment les reproches...) empreintent la forme de soliloque adressée. En outre, le dialogue n'est pas justifié par la situation de parole. Dialogue pas spontanné, complètement artificiel. Louis avait prévu de dire cela à Antoine. Du coup, Antoine se sent agressé par cette intimité que l'autre lui livre sans avoir installé la situation. Brutalité de Louis. On ne livre pas son intimité comme ça. Antoine refuse en bloc tout ça « des histoires ». Il accuse Louis de raconter « des histoires ». Répétition insistante sur le mot « histoire ». L'écrivain est vu comme le manipulateur, le fabulateur, le menteur. C'est donc l'ennemi, le faiseur de phrases. Antoine est quelqu'un qui parle beaucoup et en même temps, il se méfie du langage. Mais Antoine fait la même chose que Louis, lui aussi il pense tout haut à la page 50 « l'usage de la parenthèse...non pas la seule ». Le langage a une fonction essentiellement phatique et les personnages en ont conscience. P.50 « Tu as inventé tout ça pour me parler ». Forme de dialogue métalinguistique. C'est plus le rapport de chaque personnage qui fait sens que l'intrigue recrée par les propos.
Antoine accuse Louis d'être un faiseur d'histoires. Et, de fait, Louis joue bien un rôle.
Dans ce second monologue, Louis exprime sa solitude et son étrangeté au milieu des siens. Dans la scène qui suit, il tente de la faire comprendre à son frère Antoine qui réagit brutalement. Ce passage, d'une tonalité douce, amère met en lumière l'ironie tragique de l'existence. Lagarce nous fait entendre la voix d'un mort, la plus propre sans doute à exprimer la déréliction humaine. Mais le sentiment tragique est ici compensé par une perspective ludique.
I. Le revenant
1) La voix des morts
Il y a chez Louis la peur d'une dissolution du MOI. Du JE au ON. Perte de l'identité. Fin p.43 « on s'amuse, je m'amusais », comme si JE et ON étaient interchangeables. JE fondu dans un ensemble. P.44 « on est bien, je suis bien ». Mise à distance de soi-même comme sur une photographie. À la page 46, Louis prend des poses. À la page 47, il prépare la photo qui restera de lui « me sourire à moi-même comme pour une photo à venir ». Louis est déjà posthume. Les vers sont courts, très découpés, le personnage semble à bout de souffle. L'identité fragile de Louis se traduit par une langue maladroite, incertaine → p.49 « des milliers, centaines...kilomètres ». Il se reprend constamment, sa langue est vacillante. Épanortose → p.49 « pas heureux, content ». Répétitions → p.49 « j'imagine assez...carabine », « assez » est un modalisateur, quelque chose qui vient apporter une nuance à l'énoncé. Le langage donne l'impression de quelque chose de glissant. On a l'impression qu'il y a qu'une seule voix qui traverse le texte. P.48 « j'étais à la gare » → « tu étais à la gare ». Dans la scène 10, il y a le regard rétrospectif de l'autobiographie.
2) Temps et espace
Le repère 0 est le moment où parle Louis (après sa mort). Le temps de la pièce est 0-1. « Plus tard, l'année d'après » → passé situé avant le temps de la pièce est 0-2 (vie de Louis avant qu'il revienne voir sa famille). Début in medias res. Le lecteur a l'impression d'arriver au milieu d'un récit déjà commencé. Qu'est-ce que Louis a évoqué avant notre entrée dans la salle ? P.45 → « plus tard (→ temps situé entre la visite à sa famille et sa mort : 0-0,5) encore...enfuis ». Transgression de la norme théâtrale. Il raconte quelque chose de l'ordre de l'avenir. Parfois, il s'amuse à imbriquer 0-1 et 0 → p.43 « on s'amuse » (0), « je m'amusais » (0-1). P.44 → le présent « je suis bien », « parfois je deviens haineux » (0-0,5) → moment où il est déjà allé voir sa famille. Présent qui a une épaisseur très grande et qui désigne toute une partie de la vie de Louis, celle où il pense à sa mort prochaine. Dans la scène 10, d'où parle Louis ? Où sommes-nous ? On est dans la tombe de Louis alors que dans la scène 11 on est dans la maison. Aux pages 43-46, il évoque le moment où il fait le tour du monde. Espace imaginaire qui est de l'ordre de la parole => trois espaces. Faire parler un mort est la meilleure façon de poser la question existentielle.
II. La déréliction
1) Être au monde
Louis est atteint de mélancolie (difficulté d'être au monde). Il a peur de la solitude et l'idée que le monde lui survive lui est insupportable. Louis souffre d'angoisses métaphysiques. Les autres ont vécu sans lui et vivront sans lui. Il y a une inquiétude quant à savoir que les autres vont disposer de son cadavre comme un objet → bas de la page 44 « que vont-ils faire de moi... ». Le cadavre est l'objet dont dispose la famille.Même chose chez Kafka. L'inquiétude du fils prodigue qui a conquiert une liberté mais que sa famille reprend dans la mort. Inquiétude légitime. Il revendique sa « Mort » comme un geste libre. « La mort comme choix fait contre eux pour leur faire du mal. » (p.45) Le sacrifice fait de soi pour blesser les autres. Tentative d'approcher la liberté, trouver l'expression juste. Il y a une grande pudeur, la maladie n'est jamais évoquée mais suggérée, p.45 « le lendemain...et pâle ». Quant à la haine, elle est ici vue comme un refuge, elle permet de ne pas s'ouvrir et d'assouvir jusqu'au bout sa solitude. Lagarce évoque son désir de survivre à sa famille → « être l'unique survivant » (p.45). Louis fait une tentative pathétique pour se cacher. À la page 46, il se présente comme un personnage nihiliste « je ne crois en rien ». À partir de la page 46, Louis se présente comme un étranger, un personnage constamment de passage. Mais cette fuite est inutile, à la page 47, la mort vient lui tapoter l'épaule en disant « à quoi bon » => retour pathétique chez lui. En quelques pages, il retrace l'apprentissage de la mort.
2) L'échec du fils prodigue
Louis revient méfiant → ce qu'il raconte à Antoine scène 11 → il attendait au buffet de la gare puis il ment => il commence par une trahison. Le retour de Louis est placé sous le signe de la trahison et du mensonge. Quant à sa méfiance, il imagine le discours qu'il tiendra à son frère. Antoine n'a rien oublié, il est plein de rancoeur. Il a décidé de ne pas croire son frère. Si le pardon n'a pas lieu comme dans la Bible, c'est parce que les personnages sont figés dans le ressentiment. Ce que dit Louis se retourne contre lui => il dit qu'il s'est fait une recommandation : p.50 « je me suis fait la recommandation...venais », p.51 « Comment... ? Une « ... » merde ». Antoine n'oublie rien. Antoine écoute attentivement Louis et le retourne contre lui. À tour de rôle, chacun des personnages revient sur ce que l'autre a dit ou fait. La justement déversion de la simple rectification à la dénégation la plus complète est ce qui ordonne les rapports entre les êtres. Le seul dialogue possible se noue sur des paroles déjà prononcées, des gestes déjà accomplis, des scènes déjà jouées. Antoine suppose que Louis regrette d'être venu et il fait semblant de croire que Louis est venu sur un coup de tête et du coup, il empêche Louis de s'expliquer, de dire pourquoi il est venu. Il effleure le point essentiel : la raison de la venue de Louis à la page 62 mais le balaie « Ce n'est pas important pour moi. ». Façon d'assigner à l'autre une identité. Antoine ne cherche pas à connaître Louis. Il lui dit, à la page 50 « tu dois être devenu ce genre d'homme qui lisent les journaux ». On sent également la jalousie d'Antoine « des journaux que je ne lis jamais », l'un est jaloux de l'autre comme dans la Bible. Sentiment d'infériorité d'Antoine face à Louis. Louis est un intellectuel et Antoine un ouvrier. Antoine nie, ne veut pas connaître Louis, savoir qui il est. Il met sa propre image à la place de ce qu'est réellement son frère. Il remplace l'expérience de Louis par la sienne. « Je connais ces endroits mieux que toi. » « C'est à cela que tu penses. » Antoine parle au présent. Il est en train d'évoquer Louis le matin même à la gare. L'usage du présent permet la substitution d'une réalité. Impression qu'il y a toujours des vues subjectives de la réalité et pas la réalité en elle-même. Il n'y a pas de réalité, que des confrontations de subjectivité. Antoine réécrit l'histoire de Louis « depuis de nombreuses années... ». Non seulement il réécrit l'histoire récente mais aussi toute l'histoire de Louis depuis qu'il a quitté la maison. Il met le discours à la place de celui de Louis. Il se passe ici exactement ce que Rilke et Kafka voulaient dire, la famille assigne à l'autre une réalité d'avance. C'est pour cela que le fils prodigue est parti. P.50 « c'est cela, c'est exactement cela, ce que j'disais...noie... ». Il s'efforce de reconnaître en Louis ce qu'il y a lui-même placé. P.51 « tu as toujours été comme ça à...contraire ». Les deux frères sont des étrangers l'un à l'autre comme le dit Antoine, p.52 « tu ne disais rien parce que tu ne me connais pas...frère ». Idée de fatalité qui pèse sur la famille. Louis se sent étranger mais Antoine aussi et Suzanne → trois enfants prodigues. Ils ressentent au fond la même chose. Antoine aussi a une identité fixée d'avance par la famille. Scène 10, grand monologue de Louis, sa volonté de les noyer. En apparence il y a un malentendu profond mais l'intuition d'Antoine est juste. Refus d'accorder au fils prodigue une singularité. « Tout n'est pas exceptionnel dans ta petite vie. » Antoine détruit le mythe élaboré par la mère et la soeur. Du coup Antoine veut quitter la pièce « Où est-ce que tu vas ? » (didascalie interne). Antoine refuse ce dialogue, ce rôle d'auditeur, de témoin qui lui a été imposé par sa famille. En fait, Louis comptait sur la compréhension d'Antoine. C'est à Antoine que Louis a décidé depuis le début de faire sa révélation peut-être parce qu'il le croit le plus fort. Antoine doit être le passeur, il doit avoir ce rôle là. Antoine sait ou pressent ce que veut lui annoncer Louis et le refuse. À la page 54, Antoine dit à Louis que pendant toutes ces années il avait de la haine, du ressentiment mais il se taisait pour « donner l'exemple ». Il se taisait par hostilité. À la scène 9, Antoine s'est disputé avec Catherine à cause de Louis. L'appel de Catherine devrait intervenir à la fin de la scène 9 mais entre temps il y a la venue de Louis. L'appel de Catherine est une hypothèse que vue avec Louis = l'aurait troublé => annuler la scène avec Louis. Regards lointains, F.D. Sebbah : « S'arranger avec les vivants et les morts. » « Antoine est un héros tragique mais pas Louis parce que Louis préserve son rapport au tragique en le négociant sur le mode de l'arrangement. ». Le tragique est l'absence de tout compromis. Antoine est celui qui refuse l'arrangement et qui accuse Louis de tricher. La pièce nous émerge dans une logique de confection / rédemption, pardon / rémission. Dans cette pièce, l'humanité est coupable en particulier les hommes et en particulier les frères.
3) Des langues étrangères
Il n'y a pas de langue commune entre les personnages. Le frère Antoine refuse d'entrer en communication avec Louis. Au début de la scène 11, Louis essaie de dire sa difficulté à être dans cette famille, il offre une chance de réconciliation qu'Antoine rejette. Antoine répond par plusieurs questions avec aggressivité. Du coup, le langage de Louis s'enlise, ne peut aller plus loin. « Je ne sais pas, non...important. » Louis bat en retraite, retire ce qu'il a dit. Antoine est sur la défensive parce qu'il est lui aussi aux prises avec cette histoire familiale. Il est lui-même piégé. Un dialogue ne fonctionne que si il y a la volonté de part et d'autre qu'il ait lieu. P.49, Louis dit : « je ne dis rien si tu ne veux rien dire ». Beaucoup de phrases inachevées. « Tout de suite, aussitôt, je ne t'empêchais pas. » Les personnages se censurent. Fonction phatique du langage. Antoine « Oui. », Louis « la gare ». Peur de ne pas dire le mot juste, de blesser l'autre. P.49, épanorthose « pas heureux, content » Louis. En fait, Louis essaie de créer une complicité masculine face à la mère et la soeur. Il essaie de créer cette complicité des hommes face aux deux femmes. Louis s'interromp tout seul « j'attendais et je me suis dit » → ellipse, on ne sait pas ce qu'il s'est dit. Chacun est aux prises avec son propre monologue. P.49 « j'y pensais...les répéter... ». On a l'impression que les personnages disent ce qui leur passe par la tête. On se retrouve presque dans un monologue comme dans la scène 10. Louis ne parle plus à un interlocuteur, il est plongé dans ses pensées. P.50 « (des recommandations que l'on se fait) », il livre l'intime. Quelque chose qu'il se dit à lui-même, pas à Antoine. On ne peut pas faire fonctionner un dialogue que sur l'intime. Refus de faire encourir l'échange. L'artificialité et le silence sont préférables à une parole qui joue avec la vérité et fait encourir le risque du conflit. C'est pourquoi les moments de parole vraie (ceux où s'expriment les reproches...) empreintent la forme de soliloque adressée. En outre, le dialogue n'est pas justifié par la situation de parole. Dialogue pas spontanné, complètement artificiel. Louis avait prévu de dire cela à Antoine. Du coup, Antoine se sent agressé par cette intimité que l'autre lui livre sans avoir installé la situation. Brutalité de Louis. On ne livre pas son intimité comme ça. Antoine refuse en bloc tout ça « des histoires ». Il accuse Louis de raconter « des histoires ». Répétition insistante sur le mot « histoire ». L'écrivain est vu comme le manipulateur, le fabulateur, le menteur. C'est donc l'ennemi, le faiseur de phrases. Antoine est quelqu'un qui parle beaucoup et en même temps, il se méfie du langage. Mais Antoine fait la même chose que Louis, lui aussi il pense tout haut à la page 50 « l'usage de la parenthèse...non pas la seule ». Le langage a une fonction essentiellement phatique et les personnages en ont conscience. P.50 « Tu as inventé tout ça pour me parler ». Forme de dialogue métalinguistique. C'est plus le rapport de chaque personnage qui fait sens que l'intrigue recrée par les propos.
Antoine accuse Louis d'être un faiseur d'histoires. Et, de fait, Louis joue bien un rôle.
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