Juste la fin du monde texte 2 : 1ère partie, scènes 1,2 et 3 jusqu'à la p.21 « tu sembles m'écouter sans m'interrompre »
Dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, Louis raconte dans le prologue comment il est revenu chez les siens pour annoncer sa mort une année auparavant. Il y a là sa mère, sa soeur, son frère avec sa femme. Aussitôt l'arrivée de Louis crée un malaise et des tensions. Tour à tour les personnages féminins prennent la parole pour décrire leur vie sans Louis et lui reprocher son absence. Lagarce montre que l'impossibilité d'utiliser le langage comme moyen de communication enferme les êtres dans leur solitude. L'échec du langage au sein de la famille perçue comme une arène réduit l'homme à une solitude radicale.
I. Échec du langage
1) Le malentendu
La scène des retrouvailles familiales met en jeu un dialogue attendu par le spectateur liée à cette situation dramatique. Louis esquisse ce dialogue mais le rejette aussitôt. Il y a un refus de l'échange. L'artificialité et le silence semblent préférables à une parole qui joue avec la vérité et fait encourir le risque du conflit. Comment à tour de rôle chacun des personnages revient sur ce que l'autre a dit ou fait ? L'ajustement des versions de la simple rectification à la dénégation la plus complète est ce qui ordonne les rapports entre les êtres. Le seul dialogue possible se noue sur des paroles déjà prononcées, des gestes déjà accomplis, des scènes déjà jouées. Le malaise se fait sentir dès la première réplique de Suzanne. Ça commence normalement mais on sent tout de suite à cause des répétitions un enlisement de la parole. Besoin anormal de précision comme si Suzanne n'était pas sûre d'être comprise, pas sûre que le langage ait un sens. Il y a quelque chose de tragique dans cette répétition des prénoms. Le prénom ne renvoie plus à une identité. Il est privé de sens. Dans toute la pièce, on s'envoie des prénoms à la tête constamment. Cf. la fin de la scène 2, Catherine qui reprend Antoine. Le prénom ne permet pas la reconnaissance de l'autre. Le prénom participe d'une communication purement phatique, c'est un langage qui ne sert qu'à établir un contact. Les réitérations relèvent de cette fonction phatique → bas p.11. La fragilité du discours et les personnages ont parfois conscience de cela, de « parler en rond ». Cf. Louis, haut p.10 → « Louis, Suzanne l'a dit... ». Il dit quelque chose et le retire. À la page 14, Catherine reconnaît qu'elle cherche juste à meubler les silences. « Il y a un petit garçon Louis... Quoi d'autre ? » Les personnages ne répondent pas au bon moment, ils répondent parfois en retard. À la page 9, la mère fait allusion à l'entrée en scène avec les présentations → petit décalage. À la page 12, Louis répond avec une réplique de retard (deux fois de suite). Enchevêtrement des discours → on ne sait plus qui parle à qui. Comme si il n'y avait pas d'interlocuteur précis. C'est ce qui permet à Louis, à la page 15, de dire « Excuse-moi, excusez-moi ». Les répétitions également viennent brouiller la communication. Répétitions avec variations. On ne sait jamais quelle version garder de l'énoncé. Peut-être que tout est faux ? P.10, Suzanne : « Tu lui serres la main.. étrangers ». Elle décline l'action de serrer la main sous des formes différentes. Façon d'annuler ce qui vient d'être dit → p.9 : « Mère : comment vous ne connaissez... tu sais très bien. » → fait s'effondrer tout ce que vient de dire la mère. Quiproquos, au bas de la page 15, sur l'origine du prénom Louis donné au fils d'Antoine. => Méfiance dans tout ce texte envers le langage, envers ses propres paroles : Suzanne, p.18 : « je ne crois pas que je me trompe, dit-elle » → on se méfiait aussi du langage des autres et en particulier de l'opinion commune. L'individu menacé par le groupe, la société, la famille. Les individus sont constamment menacés par le langage social (des expressions toutes faites...). P.12, Catherine : « On dit mais je ne me rends pas compte... on dit... » → les autres, le langage commun qui menace le langage de l'individu d'où la présence de guillemets chez Lagarce. P.19 : Suzanne « Je pense que tu es un homme habile... habileté ». Comme si il y avait une histoire de possession de Lagarce par le langage. Le langage des autres envahissant « ... ». Suzanne, p.18, scène 3, fin du premier paragraphe : « Je t'oubliais assez vite...petite » → l'expression « j'étais petite » : tout le monde l'utilise donc elle la répète car elle l'a beaucoup entendu. Le langage ne leur appartient pas en propre donc la singularité de l'individu est menacée. Soit le personnage se révolte et essaie de se libérer de cette langue commune soit il renonce. Chez Lagarce, le personnage a conscience de ça mais il renonce. Elle critique l'expression « j'étais petite » mais elle l'utilise => renoncement. C'est un dialogue métalinguistique plus que dramatique par rapport à la parole de chaque personnage qui fait sens que l'intrigue nouée par les propos. Les personnages sont constamment dans le commentaire de la parole des autres, de leur propre parole. En haut de la page 13, ils s'interrompent continuellement pour commenter -...- et ils interrompent le dialogue. P.16 → Catherine s'arrête et dit « je raconte ». Il lui faut une page entière pour expliquer à Louis une chose très simple parce qu'elle ne sait pas comment le lui dire, elle est gênée, elle est dans le commentaire de ce qu'elle lui dit « Et puisque vous n'avez pas d'enfants... ». Le langage se regarde lui-même. Les parenthèses servent à ralentir le dialogue. Le message chez Lagarce n'est délivré qu'à bout de course ou pas du tout. Les personnages sombrent dans le commentaire, s'enlisent dans le commentaire, ils ont peur que le langage leur échappe et ont besoin de s'assurer de leur propre parole. P.19 → Suzanne → elle a besoin de s'assurer de ce qu'elle dit elle-même « ce que je dis... ». La figure de l'épanortose est la connection, par exemple à la page 14, Louis : « je ne sais pas pourquoi il a dit ça... ». Pourquoi facteur de malentendu ? Pourquoi retenir le mot « méchant » ou « déplaisant » ? Phrases inachevées : « il aurait été logique parce qu'il aurait été logique... ». Jeu sur les points de suspension. L'écriture est elliptique, inachevée, fragmentaire mais il y a aussi des reformulations inutiles pour la compréhension. P.19, Suzanne « je pensais lorsque tu es parti (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti) » → peur que l'autre ne comprenne pas. Autocensure de la part des autres personnages → Antoine, p.16 : « je n'ai rien dit », il a peur de ne pas trouver le mot juste mais aussi de blesser l'autre. Les personnages de Lagarce ont une telle volonté de trouver le mot juste que la communication est impossible. Aucun mot n'est jamais tout à fait juste. « Un mal à dit. » Si les personnages ont tellement de mal à parler, c'est parce qu'ils ont des choses désagréables à dire, de la rancune envers Louis → Suzanne, p.18 « ce n'est pas bien que tu sois parti...si longtemps ». Ils ont peur de parler devant Louis car il est écrivain donc les autres se corrigent. À la fin de la page 16, Catherine se corrige « une idée à laquelle il tenait ». Hésitations grammaticales et lexicales, on ne sait pas comment parler et parler bien. P.19 → Suzanne cherche ses mots, c'est elle qui parle le plus mal devant Louis « ... » → comme le résultat d'une recherche. Quand Suzanne parle à Louis, elle est en quête de son propre langage. Comme si ils parlaient une langue étrangère.
2) Le soliloque
On a l'impression que tout le monde ment ou dit n'importe quoi, ce qui leur passe par la tête. Du coup, on en arrive à des phrases absurdes « elle a grandi et elle a des cheveux ». Les personnages pensent tout haut et leur discours n'est pas destiné à un récepteur. Ils ont souvent tendance à livrer leur pensée brute. P.15 → « j'ai dit, c'est sans y avoir pensé ». Catherine avoue « je pensais à autre chose » → il y a quelque chose d'autiste dans cette façon de parler, de narcissique. On se tient devant sa parole comme devant un miroir et on oublie un récepteur. Toutes les figures de l'épanortose, de la précision infinie sont des figures qui sont contre la communication. C'est un rapport de soi à soi, ça n'intéresse pas les autres. Ce rapport autiste à sa propre langue est présent chez la mère, elle ne semble pas prendre compte de ce qui se dit autour d'elle. Aux pages 10 et 11, elle est en décalage car elle poursuit son idée. La mère ne dialogue qu'avec elle-même. Nous n'avons pas d'entrée en matière, les personnages n'éprouvent pas le besoin d'expliquer à l'autre de quoi ils parlent → débuts in medias res. À la scène 3, Suzanne commence directement par « lorsque tu es parti, je ne me souviens pas de toi ». Les personnages ne se répondent pas ou répondent à côté. Louis, p.9 « je suis très content » → pourquoi il dit ça ? Il le dit à Catherine mais la mère et Antoine se sont adressés à lui entre temps. P.11 « je vais bien...toi comment est-ce que tu vas » => l'interlocuteur n'est pas important. Chaque personnage est enfermé dans sa propre parole. Cf. typographie : des blocs hermétiques de parole qui ne laissent pas la place à l'autre.
Cet échec du langage fait de la conversation un lieu d'affrontement.
II. La famille : une arène
1) Les névroses familiales
Dans la scène d'exposition, au début de la pièce, les adversaires ne s'attaquent pas encore franchement, ils s'évaluent, fournissent les armes. L'arme principale est l'ironie, du côté d'Antoine : p.9 « tu le laisses avancer...épagneul », il se moque de Suzanne. Puis ironie de la mère « tu le sais très bien ». Ensuite, Suzanne ironique « tu lui serres la main...ne change pas », elle se moque de Louis. Louis est également ironique, p.18 « l'héritier comment vous avez dit... « héritier mâle ». L'ironie est l'arme de Louis dans toute la pièce qui se prolonge par le rire de Louis → p.20 « jamais..., tu ris,) ». P.15 → ironie d'Antoine « il est passionné...progéniture ». Il y a d'autres formes d'agression que l'ironie comme l'usage de la troisième personne par Suzanne de Catherine → le mépris. Il y a de l'agressivité de la part d'Antoine, c'est celui qui parle avec le plus de franchise parfois même avec de la vulgarité « Fous-nous la paix » (scène 1) « Merde ! » (scène 2). Il s'en prend en apparence à Catherine « Tu l'ennuies », en fait il s'en prend à Louis. Qu'est-ce qui agace tant Antoine ? C'est l'attitude ironique de Louis, ce calme de Louis dont nous savons que c'est une pause (dans le prologue, il dit qu'il allait agir de manière posée). Il a décidé d'être impassible. Antoine sait cela. Il n'est pas dupe. Les gestes vont dans le même sens → conflit. D'abord Suzanne veut absolument que Louis embrasse Catherine; la projection de Suzanne montre son propre désir, son propre besoin d'affection. Le désir qu'elle a d'embrasser son frère. Il y a tout un jeu de regards dans ces scènes. Tout le conflit Antoine/Catherine qui joue sur l'implicite du regard. Antoine, p.14 « je n'ai rien dit...comme elle me regarde ». Le regard est très important car il permet de traquer le visage de l'autre. P.15 → Antoine dit : « Je ne sais pas pourquoi ce qui m'a pris...ennui ». Pendant que Catherine parlait à Louis, Antoine scrutait le visage de son frère pour y déceler des signes. Plus loin, un sourire de Louis déclenche la colère d'Antoine. Le conflit arrive car névroses familiales. Suzanne souffre du complexe d'Électre, elle a le sentiment amoureux pour le père/le frère ce qui suscite la jalousie d'Antoine. Du côté d'Antoine, il y a une forte névrose, de la jalousie vis-à-vis de Louis. On sent que Louis est le fils préféré de la mère d'où la jalousie d'Antoine. La jalousie est d'ordre social car Louis est un intellectuel et Antoine travaille en usine. Névrose de Catherine → elle s'excuse d'exister, elle est frustrée, c'est la pièce rapportée. Elle est jalouse de Suzanne. P.16 → quand Antoine se moque d'elle. Quant à la mère, c'est celle qui devrait arbitrer le conflit. Louis est le fils prodigue, celui qui est étranger aux siens.
2) Les reproches
Ils sont d'abord implicites de la part de Catherine → p.10-12 « lorsque nous nous sommes mariés, il n'est pas venu ». De la mère, elle a très très peur de Louis → p.10 « vous vivez d'une drôle de manière ». La mère joue à l'idiote, ce qui est une façon de faire des reproches. Suzanne fait de reproches explicites dans toute la scène 3. Elle reproche même à Louis d'être calculateur, p.19 « un homme habile, plein d'une certaine habileté ». Les reproches de Suzanne sont de plus en plus précis « tu es parti », « tu nous as faussé compagnie », « tu nous abandonnas », il y a une gradation du reproche. P.21 → le verbe « reprocher » puis le nom « reproche ». Le reproche ultime de Suzanne « je te fais des reproches...répondre » → de ne pas répondre. Comme Louis ne parle pas, elle est obligée d'interpréter, c'est celle qui interprète le plus dans la pièce. Au bas de la page 20 « une carte postale...tabac ». À la fin, elle interprète son silence comme une marque d'amour.
Dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, Louis raconte dans le prologue comment il est revenu chez les siens pour annoncer sa mort une année auparavant. Il y a là sa mère, sa soeur, son frère avec sa femme. Aussitôt l'arrivée de Louis crée un malaise et des tensions. Tour à tour les personnages féminins prennent la parole pour décrire leur vie sans Louis et lui reprocher son absence. Lagarce montre que l'impossibilité d'utiliser le langage comme moyen de communication enferme les êtres dans leur solitude. L'échec du langage au sein de la famille perçue comme une arène réduit l'homme à une solitude radicale.
I. Échec du langage
1) Le malentendu
La scène des retrouvailles familiales met en jeu un dialogue attendu par le spectateur liée à cette situation dramatique. Louis esquisse ce dialogue mais le rejette aussitôt. Il y a un refus de l'échange. L'artificialité et le silence semblent préférables à une parole qui joue avec la vérité et fait encourir le risque du conflit. Comment à tour de rôle chacun des personnages revient sur ce que l'autre a dit ou fait ? L'ajustement des versions de la simple rectification à la dénégation la plus complète est ce qui ordonne les rapports entre les êtres. Le seul dialogue possible se noue sur des paroles déjà prononcées, des gestes déjà accomplis, des scènes déjà jouées. Le malaise se fait sentir dès la première réplique de Suzanne. Ça commence normalement mais on sent tout de suite à cause des répétitions un enlisement de la parole. Besoin anormal de précision comme si Suzanne n'était pas sûre d'être comprise, pas sûre que le langage ait un sens. Il y a quelque chose de tragique dans cette répétition des prénoms. Le prénom ne renvoie plus à une identité. Il est privé de sens. Dans toute la pièce, on s'envoie des prénoms à la tête constamment. Cf. la fin de la scène 2, Catherine qui reprend Antoine. Le prénom ne permet pas la reconnaissance de l'autre. Le prénom participe d'une communication purement phatique, c'est un langage qui ne sert qu'à établir un contact. Les réitérations relèvent de cette fonction phatique → bas p.11. La fragilité du discours et les personnages ont parfois conscience de cela, de « parler en rond ». Cf. Louis, haut p.10 → « Louis, Suzanne l'a dit... ». Il dit quelque chose et le retire. À la page 14, Catherine reconnaît qu'elle cherche juste à meubler les silences. « Il y a un petit garçon Louis... Quoi d'autre ? » Les personnages ne répondent pas au bon moment, ils répondent parfois en retard. À la page 9, la mère fait allusion à l'entrée en scène avec les présentations → petit décalage. À la page 12, Louis répond avec une réplique de retard (deux fois de suite). Enchevêtrement des discours → on ne sait plus qui parle à qui. Comme si il n'y avait pas d'interlocuteur précis. C'est ce qui permet à Louis, à la page 15, de dire « Excuse-moi, excusez-moi ». Les répétitions également viennent brouiller la communication. Répétitions avec variations. On ne sait jamais quelle version garder de l'énoncé. Peut-être que tout est faux ? P.10, Suzanne : « Tu lui serres la main.. étrangers ». Elle décline l'action de serrer la main sous des formes différentes. Façon d'annuler ce qui vient d'être dit → p.9 : « Mère : comment vous ne connaissez... tu sais très bien. » → fait s'effondrer tout ce que vient de dire la mère. Quiproquos, au bas de la page 15, sur l'origine du prénom Louis donné au fils d'Antoine. => Méfiance dans tout ce texte envers le langage, envers ses propres paroles : Suzanne, p.18 : « je ne crois pas que je me trompe, dit-elle » → on se méfiait aussi du langage des autres et en particulier de l'opinion commune. L'individu menacé par le groupe, la société, la famille. Les individus sont constamment menacés par le langage social (des expressions toutes faites...). P.12, Catherine : « On dit mais je ne me rends pas compte... on dit... » → les autres, le langage commun qui menace le langage de l'individu d'où la présence de guillemets chez Lagarce. P.19 : Suzanne « Je pense que tu es un homme habile... habileté ». Comme si il y avait une histoire de possession de Lagarce par le langage. Le langage des autres envahissant « ... ». Suzanne, p.18, scène 3, fin du premier paragraphe : « Je t'oubliais assez vite...petite » → l'expression « j'étais petite » : tout le monde l'utilise donc elle la répète car elle l'a beaucoup entendu. Le langage ne leur appartient pas en propre donc la singularité de l'individu est menacée. Soit le personnage se révolte et essaie de se libérer de cette langue commune soit il renonce. Chez Lagarce, le personnage a conscience de ça mais il renonce. Elle critique l'expression « j'étais petite » mais elle l'utilise => renoncement. C'est un dialogue métalinguistique plus que dramatique par rapport à la parole de chaque personnage qui fait sens que l'intrigue nouée par les propos. Les personnages sont constamment dans le commentaire de la parole des autres, de leur propre parole. En haut de la page 13, ils s'interrompent continuellement pour commenter -...- et ils interrompent le dialogue. P.16 → Catherine s'arrête et dit « je raconte ». Il lui faut une page entière pour expliquer à Louis une chose très simple parce qu'elle ne sait pas comment le lui dire, elle est gênée, elle est dans le commentaire de ce qu'elle lui dit « Et puisque vous n'avez pas d'enfants... ». Le langage se regarde lui-même. Les parenthèses servent à ralentir le dialogue. Le message chez Lagarce n'est délivré qu'à bout de course ou pas du tout. Les personnages sombrent dans le commentaire, s'enlisent dans le commentaire, ils ont peur que le langage leur échappe et ont besoin de s'assurer de leur propre parole. P.19 → Suzanne → elle a besoin de s'assurer de ce qu'elle dit elle-même « ce que je dis... ». La figure de l'épanortose est la connection, par exemple à la page 14, Louis : « je ne sais pas pourquoi il a dit ça... ». Pourquoi facteur de malentendu ? Pourquoi retenir le mot « méchant » ou « déplaisant » ? Phrases inachevées : « il aurait été logique parce qu'il aurait été logique... ». Jeu sur les points de suspension. L'écriture est elliptique, inachevée, fragmentaire mais il y a aussi des reformulations inutiles pour la compréhension. P.19, Suzanne « je pensais lorsque tu es parti (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti) » → peur que l'autre ne comprenne pas. Autocensure de la part des autres personnages → Antoine, p.16 : « je n'ai rien dit », il a peur de ne pas trouver le mot juste mais aussi de blesser l'autre. Les personnages de Lagarce ont une telle volonté de trouver le mot juste que la communication est impossible. Aucun mot n'est jamais tout à fait juste. « Un mal à dit. » Si les personnages ont tellement de mal à parler, c'est parce qu'ils ont des choses désagréables à dire, de la rancune envers Louis → Suzanne, p.18 « ce n'est pas bien que tu sois parti...si longtemps ». Ils ont peur de parler devant Louis car il est écrivain donc les autres se corrigent. À la fin de la page 16, Catherine se corrige « une idée à laquelle il tenait ». Hésitations grammaticales et lexicales, on ne sait pas comment parler et parler bien. P.19 → Suzanne cherche ses mots, c'est elle qui parle le plus mal devant Louis « ... » → comme le résultat d'une recherche. Quand Suzanne parle à Louis, elle est en quête de son propre langage. Comme si ils parlaient une langue étrangère.
2) Le soliloque
On a l'impression que tout le monde ment ou dit n'importe quoi, ce qui leur passe par la tête. Du coup, on en arrive à des phrases absurdes « elle a grandi et elle a des cheveux ». Les personnages pensent tout haut et leur discours n'est pas destiné à un récepteur. Ils ont souvent tendance à livrer leur pensée brute. P.15 → « j'ai dit, c'est sans y avoir pensé ». Catherine avoue « je pensais à autre chose » → il y a quelque chose d'autiste dans cette façon de parler, de narcissique. On se tient devant sa parole comme devant un miroir et on oublie un récepteur. Toutes les figures de l'épanortose, de la précision infinie sont des figures qui sont contre la communication. C'est un rapport de soi à soi, ça n'intéresse pas les autres. Ce rapport autiste à sa propre langue est présent chez la mère, elle ne semble pas prendre compte de ce qui se dit autour d'elle. Aux pages 10 et 11, elle est en décalage car elle poursuit son idée. La mère ne dialogue qu'avec elle-même. Nous n'avons pas d'entrée en matière, les personnages n'éprouvent pas le besoin d'expliquer à l'autre de quoi ils parlent → débuts in medias res. À la scène 3, Suzanne commence directement par « lorsque tu es parti, je ne me souviens pas de toi ». Les personnages ne se répondent pas ou répondent à côté. Louis, p.9 « je suis très content » → pourquoi il dit ça ? Il le dit à Catherine mais la mère et Antoine se sont adressés à lui entre temps. P.11 « je vais bien...toi comment est-ce que tu vas » => l'interlocuteur n'est pas important. Chaque personnage est enfermé dans sa propre parole. Cf. typographie : des blocs hermétiques de parole qui ne laissent pas la place à l'autre.
Cet échec du langage fait de la conversation un lieu d'affrontement.
II. La famille : une arène
1) Les névroses familiales
Dans la scène d'exposition, au début de la pièce, les adversaires ne s'attaquent pas encore franchement, ils s'évaluent, fournissent les armes. L'arme principale est l'ironie, du côté d'Antoine : p.9 « tu le laisses avancer...épagneul », il se moque de Suzanne. Puis ironie de la mère « tu le sais très bien ». Ensuite, Suzanne ironique « tu lui serres la main...ne change pas », elle se moque de Louis. Louis est également ironique, p.18 « l'héritier comment vous avez dit... « héritier mâle ». L'ironie est l'arme de Louis dans toute la pièce qui se prolonge par le rire de Louis → p.20 « jamais..., tu ris,) ». P.15 → ironie d'Antoine « il est passionné...progéniture ». Il y a d'autres formes d'agression que l'ironie comme l'usage de la troisième personne par Suzanne de Catherine → le mépris. Il y a de l'agressivité de la part d'Antoine, c'est celui qui parle avec le plus de franchise parfois même avec de la vulgarité « Fous-nous la paix » (scène 1) « Merde ! » (scène 2). Il s'en prend en apparence à Catherine « Tu l'ennuies », en fait il s'en prend à Louis. Qu'est-ce qui agace tant Antoine ? C'est l'attitude ironique de Louis, ce calme de Louis dont nous savons que c'est une pause (dans le prologue, il dit qu'il allait agir de manière posée). Il a décidé d'être impassible. Antoine sait cela. Il n'est pas dupe. Les gestes vont dans le même sens → conflit. D'abord Suzanne veut absolument que Louis embrasse Catherine; la projection de Suzanne montre son propre désir, son propre besoin d'affection. Le désir qu'elle a d'embrasser son frère. Il y a tout un jeu de regards dans ces scènes. Tout le conflit Antoine/Catherine qui joue sur l'implicite du regard. Antoine, p.14 « je n'ai rien dit...comme elle me regarde ». Le regard est très important car il permet de traquer le visage de l'autre. P.15 → Antoine dit : « Je ne sais pas pourquoi ce qui m'a pris...ennui ». Pendant que Catherine parlait à Louis, Antoine scrutait le visage de son frère pour y déceler des signes. Plus loin, un sourire de Louis déclenche la colère d'Antoine. Le conflit arrive car névroses familiales. Suzanne souffre du complexe d'Électre, elle a le sentiment amoureux pour le père/le frère ce qui suscite la jalousie d'Antoine. Du côté d'Antoine, il y a une forte névrose, de la jalousie vis-à-vis de Louis. On sent que Louis est le fils préféré de la mère d'où la jalousie d'Antoine. La jalousie est d'ordre social car Louis est un intellectuel et Antoine travaille en usine. Névrose de Catherine → elle s'excuse d'exister, elle est frustrée, c'est la pièce rapportée. Elle est jalouse de Suzanne. P.16 → quand Antoine se moque d'elle. Quant à la mère, c'est celle qui devrait arbitrer le conflit. Louis est le fils prodigue, celui qui est étranger aux siens.
2) Les reproches
Ils sont d'abord implicites de la part de Catherine → p.10-12 « lorsque nous nous sommes mariés, il n'est pas venu ». De la mère, elle a très très peur de Louis → p.10 « vous vivez d'une drôle de manière ». La mère joue à l'idiote, ce qui est une façon de faire des reproches. Suzanne fait de reproches explicites dans toute la scène 3. Elle reproche même à Louis d'être calculateur, p.19 « un homme habile, plein d'une certaine habileté ». Les reproches de Suzanne sont de plus en plus précis « tu es parti », « tu nous as faussé compagnie », « tu nous abandonnas », il y a une gradation du reproche. P.21 → le verbe « reprocher » puis le nom « reproche ». Le reproche ultime de Suzanne « je te fais des reproches...répondre » → de ne pas répondre. Comme Louis ne parle pas, elle est obligée d'interpréter, c'est celle qui interprète le plus dans la pièce. Au bas de la page 20 « une carte postale...tabac ». À la fin, elle interprète son silence comme une marque d'amour.
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Mer 11 Nov 2009, 4:20 am par Admin